Nos anciens - Stéphanie Ponsaers: la place des femmes dans les métiers du numérique

- Jérôme Coupé

Stephanie ponsaers cover

Entretien avec Stéphanie Ponsaers autour de son sujet de mémoire: la place des femmes et de toutes les personnes se sentant comme telles dans les métiers de la réalisation numérique.

Bonjour Stéphanie. En 2021, tu décides de consacrer ton mémoire de master en Réalisation Multimédia à la place des femmes dans les métiers du numérique et particulièrement de l'animation 3D. Vaste sujet ...

Pour bien comprendre la démarche, il faut remonter un peu en arrière. Avant de faire l'IAD, j'ai commencé des études en journalisme et communication à l'IHECS. Ce sont des études assez variées, classiques, mais pendant lesquelles j'ai découvert que j'aimais les disciplines techniques comme le montage vidéo, le graphisme et le web, etc.

Lors de ma troisième année, je suis partie en échange au Canada, à l'université de Sherbrooke. Complètement par hasard, j'ai suivi un cours d'infographie et là, j'ai eu un déclic, j'ai su que c'est cela que je voulais faire dans la vie.

De retour en Belgique, j'arrête mes études à l'IHECS, je cherche une école dans le domaine et je trouve l'orientation réalisation multimédia à l'IAD.

Quand j'analyse les choses avec le recul, je crois que davantage de modèles féminins dans des domaines techniques et une présentation de ces possibilités dès mes secondaires m'auraient donné de meilleures bases pour poser mes choix.

Après avoir terminé ton bachelier, tu choisis de te spécialiser en 3D. Tu t'inscris en master. Dès le début, tu choisis un sujet de mémoire lié à l'inclusion et à la place des femmes dans cette branche. Comment est née cette envie ?

Pour moi, c'était une envie mais aussi une évidence qui est née en fin de bachelier, lors de mon premier stage professionnel.

Je quitte ma classe mixte pour aller travailler dans une entreprise et là, surprise, plus une seule femme! Je suis exclusivement entourée d'hommes. Première claque.

Cette situation me questionne énormément et je décide de comprendre. Je veux savoir pourquoi ma classe et mon école sont relativement mixtes alors que le milieu professionnel du numérique est presque exclusivement masculin.

Une fois que je m'intéresse au sujet, je commence à mettre le doigt sur beaucoup de choses dans mon propre parcours et dans mes expériences qui font écho au fait que je me sens assez seule et parfois mal à l'aise dans mon (futur) métier:

  • Manque de professeurs féminins à l'école,
  • Faible proportion de femmes lors des jurys,
  • Ambiance "boys club" lors de mes stages,
  • Absence de sanitaires séparés pour les femmes dans certaines entreprises et de poubelles dans ces derniers,
  • Sexualisation des femmes dans les jeux vidéos et dans la 3D en général,
  • Invisibilisation des femmes pourtant pionnières dans l'informatique, le cinéma ou le graphisme une fois des filières devenues plus lucratives et / ou prestigieuses,
  • Dynamiques de pouvoir à l'oeuvre dans les secteurs du numérique
  • Biais de genres de nos sociétés qui considèrent les métiers techniques, les postes à responsabilité et les ordinateurs comme étant masculins.

Ce premier déclic lors de mes stages en déclenche beaucoup d'autres à postériori.

Ton stage est d'abord une prise de conscience. Est-ce que faire ce mémoire change aussi ta perspective sur cette question de la place des femmes dans les métiers du numérique ?

Pour être franche, je n'ai jamais vraiment vu ce mémoire comme un travail scolaire mais plutôt comme une occasion de comprendre et sans doute aussi de prendre la parole. J'ai toujours été sensible à l'engagement des mouvements féministes et aux questions d'inclusion et de genre mais, en faisant ce mémoire, je découvre l'énormité des chiffres et des statistiques. Seconde grosse claque.

Je ne voulais pas faire un travail qui stigmatise, qui porte un jugement sur les hommes ou sur la société en général. Je voulais que mon mémoire soit avant tout un outil pour essayer de communiquer la réalité qui est celle des femmes dans ces métiers.

Pour cela, je me suis appuyée sur des éléments objectifs: des faits, des données, des études, des statistiques, mais aussi sur des témoignages et des interviews. Je me suis rendu compte que nous étions toutes très isolées et que le simple fait de parler de ce que nous vivions et d'échanger, cela nous faisait énormément de bien à toutes.

Cela permet aussi d'ouvrir la porte au fait d'en parler plus spontanément dans nos entreprises et dans nos écoles. Je suis persuadée qu'une communauté plus inclusive, c'est d'abord une communauté qui se parle et qui s'écoute.

Un livre en bonne compagnie ! - Photo: Stéphanie Ponsaers

Un livre en bonne compagnie ! - Photo: Stéphanie Ponsaers

Cette volonté de prendre la parole pour être entendue et écoutée s'est d'ailleurs poursuivie au-delà de ton mémoire. Tu as décidé d'auto-publier ce travail par après. Tu peux nous raconter ?

C'était à mes yeux logique de publier mon mémoire sous forme de livre pour faire entendre à la fois les faits, les chiffres et les témoignages des femmes interviewées. Si ce travail peut servir de point de départ à des conversations ou permettre à des femmes de se sentir moins seules avec leurs questions, cela en vaut la peine.

Auto-publier un livre ou un travail est un exercice compliqué. Heureusement, j'avais les bases pour la mise en page (rires). Par après, il faut comprendre où et comment publier et diffuser. Sur Internet, Amazon était le choix le plus accessible ... mais j'aimerais changer de plateforme dès que possible. J'ai pu déposer le livre dans quelques librairies indépendantes également, ce qui est plus en phase avec mes valeurs.

J'ai eu beaucoup de réactions intéressées de la part de l'équipe avec laquelle je travaille et de certaines agences avec lesquelles j'ai travaillé. Je crois que les entreprises s'intéressent de plus en plus aux questions d'inclusion parce qu'elles se rendent compte que c'est bénéfique d'avoir des profils très divers dans leurs équipes. La problématique fait son chemin et les voix des femmes sont davantage entendues dans notre industrie du numérique.

Pour autant, il y a toujours assez peu de femmes ou de personnes issues des minorités dans les équipes avec lesquelles j'ai travaillé comme freelance. Il reste aussi d'énormes progrès à faire au niveau des postes de direction et à responsabilité.

Cela reste donc très important de parler de ces questions, d'échanger dans les entreprises et dans les écoles pour continuer à créer un secteur du numérique plus inclusif, pour les femmes comme pour d'autres minorités.

"Les yeux Gourmands": une charmante librairie indépendante à Saint-Gilles - Photo: Stéphanie Ponsaers

"Les yeux Gourmands": une charmante librairie indépendante à Saint-Gilles - Photo: Stéphanie Ponsaers

Est-ce que tu as des projets pour le futur ? Des conseils pour les femmes qui commencent leurs études ou qui travaillent dans le secteur ? D'autres choses à partager ?

Au niveau des projets, je m'intéresse beaucoup aux "intelligences artificielles", aux algorithmes. En se basant sur une très grande quantité de données existantes et en fonctionnant par probabilité, ces technologies renforcent souvent les biais sexistes ou racistes présents dans ces données au départ.

Je voudrais aussi mentionner un collectif et un lieu qui me tiennent à coeur:

  • "Elles tournent": un festival de films de femmes qui permet à des réalisatrices de se rencontrer, de présenter leurs films et d'échanger avec le public.
  • "That's what X said": une galerie bruxelloise qui valorise le travail d'artistes engagés vis-à-vis des problématiques sociales et politiques contemporaines.

J'ai envie de dire aux jeunes femmes qui débutent, de ne pas avoir peur d'aller à la rencontre de celles qui travaillent dans l'industrie du digital, de participer à des événements ou à des collectifs, de ne pas rester seules avec leurs questions ou leurs expériences, de parler, d'échanger.

C'est cela qui fait du bien et qui donne de l'énergie. Pour une personne isolée, c'est compliqué d'être écoutée et de formuler ce qui dérange, ce qui met mal à l'aise ou ce que l'on ne trouve pas équitable. Lorsque c'est un groupe qui parle, le message a souvent plus d'impact et devient difficile à ignorer.

Le site de Stéphanie Ponsaers et le livre tiré de son mémoire.