Nos anciens - Olivier Gérard: parcours d’un ingénieur du son passionné

- Jérôme Coupé

Gégé Simple Minds. Photo: Ruby Gaunt

Olivier Gérard, ancien étudiant de la maison (promo 1986), nous a fait le plaisir de passer par l’IAD pour communiquer sa passion et son savoir-faire d’ingénieur du son “live” à nos étudiants. Nous en avons profité pour bavarder un peu.

Bonjour Gégé, j'ai appris que tu voulais devenir joueur de foot pro étant jeune. Comment es-tu arrivé à l'IAD pour finalement devenir ingénieur du son ?

Un peu par hasard pour être franc. A cause d'un accident, je n'ai pas pu devenir footballeur professionnel. La musique m'a toujours intéressé: je n'ai jamais suivi de cours, mais je jouais du piano et de la guitare à l'oreille, j'étais dans un groupe au collège, etc. Au moment de choisir des études, ma maman m'a demandé si je ne serais pas tenté par des études d'ingénieur du son. Comme il faut toujours écouter sa maman (rires), j'ai été à la journée d'information, j'ai présenté les épreuves d'admission et j'ai été reçu.

Dès la rentrée, je me suis rendu compte qu'il y avait quelques pointures à l'IAD: Alain Debaisieux, Stéphane Kramer, Thierry Peeters et d'autres qui ont fait de belles carrières par après et qui, pour certains, travaillaient déjà en studio pendant leurs études.

C'est l'une des deux choses qui ont contribué à lancer ma carrière telle qu'elle s'est déroulée. J'avais souvent l'impression d'avoir un peu de retard sur mes condisciples et de devoir beaucoup travailler. J'avais aussi le sentiement de ne pas être très bon au niveau du son studio, sentiment qui a été renforcé par quelques remarques de professeurs.

Le second événement marquant, c'est l'organisation du Day Night Festival à la ferme du Biéreau quand j'étais en deuxième année. EML, une grosse société néerlandophone, était chargée de la sono. Le camion arrive pour décharger et, comme j'ai été élevé en Néérlandais, quelqu'un vient me chercher pour faire les traductions. Tant que j'y étais, j'ai aidé à décharger, à installer le matériel et à faire les premiers réglages. Apparemment j'ai bien fait les choses puisqu'on m'a proposé des stages et du boulot. J'ai travaillé chez EML pendant le reste de mon cursus et j'ai continué par après.

Concentration - Photo: Cassey Miller

Concentration - Photo: Cassey Miller

Donc, après tes études, tu travaille chez EML, tu fais des festivals, d'abord en déchargeant les camions puis, petit à petit, en faisant ton écolage aux consoles ?

Oui c'est ça, je fais plein de festivals dont Rock Werchter (quand même) et je découvre qu'il y a des ingénieurs qui travaillent sur le son à destination du public (les ingénieurs du son “façade” dans le jargon), mais aussi ceux qui gèrent et mixent le son pour les artistes (les ingénieurs du son “retours”).

Petit à petit, chez EML et puis dans d'autres sociétés, alors que la plupart des gens veulent travailler côté “façade”, je me découvre un goût pour le côté “retours”.

Fournir à chaque musicien le son dont il a besoin pour faire sa performance dans les meilleures conditions possibles est quelque chose de très technique et auquel je prends beaucoup de plaisir. Chaque musicien a des besoins propres qui nécessitent un mixage différent: le bassiste veut atténuer le son du guitariste, le chanteur doit s'entendre convenablement même quand le reste du groupe envoie, etc. Il y a autant de mixages à faire que d'artistes sur scène. Petit à petit, je deviens une référence comme ingénieur du son “retours”.

Malheureusement, en 1996, deux amis et collègues se tuent sur la route dans le cadre du boulot: Jules, l'un de mes mentors et Jim, un jeune que j'avais formé. C'est trop pour moi. Je démissionne. J'arrête.

Je n'arrive pas à imaginer. Perdre deux personnes qui comptent pour toi en 6 mois de temps, cela doit secouer. Comment est-ce que tu rebondis ? Qu'est-ce qui se passe dans ta tête ?

Je ne sais pas si c'est tout à fait conscient, mais je décide de travailler pour les artistes directement plutôt que pour de grosses machines. Je pars en tournée avec dEUS pendant 3 mois.

A la fin de cette tournée, l'AB à Bruxelles vient de terminer ses travaux et me demande de rejoindre leur équipe.

J'en avais discuté avec des collègues … rejoindre une équipe, avoir un travail fixe, du temps à la maison, arrêter de courir, c'est ce dont j'avais besoin. Me voilà à l'AB pendant 7 ans, pendant lesquels je fais environ 2500 concerts, sans doute un peu plus en comptant les tournées auxquelles j'ai participé pendant mon temps libre.

Aux consoles - Photo: Nin Fonténai

Aux consoles - Photo: Nin Fonténai

Après une rencontre avec Maurane, elle me demande de "passer à la façade" pour de bon. J'accepte et je pars en tournée: fini les retours et fini l'AB. Je travaille aussi avec Hooverphonic, Milow et beaucoup d'autres pendant une dizaine d'années.

En 2008, je reçois un coup de fil d'un copain qui travaille avec Simple Minds. Il me demande de le remplacer pour une tournée qu'il ne peut pas faire. Là, on ne joue plus dans la même division: budgets, infrastructures, équipes, nombre de dates, etc.. Tout change d'échelle. La pression monte aussi et j'apprends à la gérer, en plus du côté technique. Mon expérience sur les retours paie. Je travaille beaucoup. Je passe des jours à éplucher la musique, à prendre des notes, à préparer mes effets, mes reverbs et à fignoler mes mixages morceau par morceau.

Gégé aux manettes, sweat shirt brandé "Simple Minds" - Photo: Jokko Photographie

Gégé aux manettes, sweat shirt brandé "Simple Minds" - Photo: Jokko Photographie

Ma philosophie reste la même: me mettre au service des artistes et de leur musique. Je veux que chaque concert permette au public d'entendre un son “live” qui soit le plus proche possible des albums, de la musique des artistes. Pour moi, chaque concert doit être le meilleur concert du monde. Je crois que c'est cette philosophie qui fait que j'ai pu travailler avec des grands noms comme Simple Minds, A-ha, Bryan Ferry, etc.

On vient d'en parler, mais quels conseils est-ce que tu donnerais à un étudiant qui entre à l'IAD, quelle perspective sur le métier est-ce que tu souhaites transmettre ?

Le son "live" c'est un métier dur, mais c'est aussi un métier qui donne beaucoup de satisfaction. Partir en tournée, c'est avant tout une aventure humaine, de la camaraderie, de l'intensité, des rushes d'adrénaline partagés, des coups durs dont on se sort ensemble, etc. Je me demande souvent comment je vais faire pour m'en passer quand je prendrai ma retraite …

Mon message principal (je n'ai pas beaucoup de conseils à donner) c'est que je n'ai pas de talent particulier. Ce que je fais, tout le monde peut le faire. C'est du travail, du travail et encore un peu de travail par-dessus. Ce qui change quand tu es passionné, c'est simplement le fait que tu n'as jamais l'impression de bosser.

La photo de couverture de l'interview, réalisée lors d'une tournée de Simple Minds est de Ruby Gaunt. Le site d'Oliver Gérard: www.oliviergerard.be.