Elise Di Pierro, lauréate du Prix PlayRight 2023

- Julie Dreucci

Prix playright iad 23

Chaque année, le prix PlayRight permet aux écoles formant des musiciennes ou des comédiennes de récompenser l'une de leurs étudiantes. En 2023, c'est Elise Di Pierro que les professeures de l'orientation Interprétation dramatique de l'IAD ont choisi de récompenser.

Question un peu bateau pour commencer mais pourrais-tu te présenter? Expliquer un peu ton parcours ? Nous dire comment le théâtre est entré dans ta vie ?  

C’est une passion qui m’habite depuis que je suis toute petite, et avec laquelle j’ai grandi. Mon premier souvenir de théâtre est celui d’un spectacle pour la fête de l’école dans lequel j’avais joué une enfant préhistorique qui s’amusait à la marelle. J’avais trouvé que c’était magique de pouvoir faire rire le public. Je me suis sentie tellement vivante sur scène, et ce sentiment m’a poussé à en faire mon métier. J’ai d’abord pratiqué le théâtre en extra-scolaire, puis j’ai eu le bonheur de poursuivre mes études secondaires en option théâtre au Lycée Martin V. Cela m’a conforté dans mon désir de devenir comédienne. 

En sortant de mes études secondaires, j’ai réussi les épreuves d’admission à l’IAD. J’ai postposé d’un an mon entrée, et je suis partie avec mon sac à dos à travers le Canada. Je ressentais intuitivement le besoin de vivre en dehors du système scolaire avant d’intégrer une école artistique. Ce voyage a été transformateur. Mais ce n’est que par la suite que j’ai compris à quel point il était riche de sens. J’y suis retournée quatre ans plus tard pour faire mon stage de fin d’études au Théâtre Espace Go, à Montréal, avec la compagnie Onishka, puis au Centre des arts scéniques, à Ottawa, avec la compagnie Mayday. J’y ai rencontré des artistes formidables, dont certaines avec qui je travaille encore aujourd’hui. 

Crédits photo : Ambre Di Pierro

Crédits photo : Ambre Di Pierro

On va parler de ta formation à l’IAD. Qu’est ce que tu retiens de cette expérience? Y a t-il des choses marquantes que tu voudrais nous partager ?  

Ce qui me vient directement, c’est que pour une bonne partie de mon parcours, nous avons dû faire face au COVID. Nous avons du expérimenter la séparation avec le reste du groupe et avec le public. C’était une expérience difficile, il y a quelque chose qui s’est assombri durant cette période… C’est comme si l’énergie avait du mal à circuler et il m’a fallu retrouver du sens dans ma pratique. Puis il y a eu le stage clown. Ce stage a vraiment été un élément de transition dans mon parcours. Je me suis rendue compte à quel point le plaisir et la joie sont essentiels au théâtre, et que je les avais un peu perdus en chemin. Ça a été un déclic. L’expérience du clown, bien que très challengeante, m’a ouvert une porte pour me reconnecter avec ce plaisir premier. On en revient à l’enfance finalement et à cette petite fille qui aimait faire rire le public. A partir de là, je me suis à nouveau autorisée à être libre sur un plateau, à plonger dans le comique comme dans le tragique, à trouver beaucoup de bonheur et de satisfaction à mêler les deux, à faire intervenir l’un dans l’autre. 

Je retiens surtout de ma formation toutes les rencontres qu’elle a permis. Je crois que c’est aussi l'intérêt de traverser une école. Je pense à la rencontre d’étudiantes, bien sûr, qui sont devenues des amies. Mais aussi de professeures, metteuses en scène, comédiennes d’horizons différents et qui ont traversé mon parcours. Elles m’ont permises d'élargir ma palette d’apprentissages, de méthodes, de manières d'aborder le théâtre… J’ai aussi eu la chance d’avoir pour professeures de nombreuses intervenantes externes à l’IAD, ce qui a ouvert le champ des possibles. C’était vraiment une chance de les avoir croisées sur ma route ! Merci à elles.

Ces rencontres peuvent surgir de n’importe où, n’importe quand, surtout dans ce métier. Je pense que c’est le propre du théâtre. Il faut cultiver sa curiosité pour ces rencontres-là, ce sont elles que l’on retient. Je me souviens aussi de la rencontre avec le public, en troisième année. Ça a été un moment très important pour moi. De pouvoir enfin entendre les réactions et les rires …On est souvent entre les quatre murs d’un atelier et parfois on oublie que tout ce travail est destiné à être offert et reçu, je l’espère en tout cas.

Je retiens aussi le vertige et la fébrilité de chaque projet. A chaque création, on ne sait jamais très bien où l'on va, on n’a jamais assez de temps, on ne sait pas si on va réussir à mener le projet à bien et par quel miracle ! C’est toujours un pari ! J’ai énormément appris de ces moments-là. Dans ma classe, nous avons beaucoup eu l’occasion de travailler en autonomie et en collectif. Il fallait alors s’organiser en groupes, travailler notre regard de metteuses en scène, en même temps que celui de dramaturges et de comédiennes. Il fallait s’improviser dans toutes sortes de rôles, tantôt costumières, tantôt régisseuses, créatrices de marionnettes ou scénographes,... de vrais couteaux suisses ! Je quitte l’école avec de beaux souvenirs de créations, de situations complètement improbables et de personnages délirants. 

On en vient au Prix Playright qui t’a été remis. Ça signifie quoi pour toi ?  

Je ne le mérite pas plus qu’une autre (on est une classe que de femmes). Chaque parcours est à valoriser et chaque chemin d’apprentissage est unique et précieux. Nous sommes toutes méritantes. Nous avons toutes accompli un parcours de guerrières.

Remise du Prix Playright

Remise du Prix Playright

Quels sont tes projets ? Comment envisages-tu la suite ?  

Je ne suis pas encore tout à fait sortie des bancs d’école car je fais l’agrégation au Conservatoire de Bruxelles. Mais les horaires me permettent de travailler à côté sur différents projets, comme comédienne, directrice de tournée et assistante à la mise en scène. 

Avec des amies comédiennes de ma promotion, nous sommes en train de créer un spectacle en collectif, dans lequel nous cherchons à mettre en fiction des récits intimes, tout en convoquant la joie et l’humour. Je pense qu’ils sont de fabuleux outils politiques à manier sur une scène de théâtre. 

Aurais-tu des conseils à donner à la nouvelle génération ? A ces nouvelles personnes qui vont passer par les ateliers de l’IAD?  

Mesurer l’importance du plaisir. Vérifier que la joie est toujours là, au cœur de sa pratique et de son apprentissage, en soi et sur scène. Il faut essayer de la préserver et de la nourrir, sans cesse. La formation est faite d'embûches, il faut pouvoir s’adapter et travailler en collectif. Si on sent sa joie intérieure s’affaiblir, essayer de remonter le thermomètre du plaisir. Et je pense que les doutes et l’exigence, même envers soi-même, ne devraient pas nous faire souffrir. Le métier est exigeant, certes, et les incertitudes font partie du processus. Mais il y a une nécessité à conserver son enthousiasme dans la formation et son authenticité, car ce sont eux qui transparaissent et se transmettent sur un plateau. Je crois que je leur dirais de raconter leurs récits, en convoquant l’amour.